CATH.AN. + ÉMILIE ARFEUIL + SABRINA BIANCUZZI + NATHALIE DÉPOSÉ + MICHAEL DUPERRIN + IRIS LEGENDRE + JEAN LEGRAND + JOËLLE MEYERS + LOUISE NARBO + HEBE ROBINSON + BERTRAND SALLÉ + YANNICK VALLET=
Origine(s)
Origine(s) photographique(s)
Suivant le fil rouge des précédentes expositions de La(b) Galerie Artyfact, Origine(s) se veut être un dialogue autour de l’origine de nos images contemporaines. Sabrina Biancuzzi travaille par exemple la matérialité de l’image et l’incarne par le geste artistique. Michaël Duperrin propose quant à lui une installation évolutive autour de ses cyanotypes, Cath. An. offre à voir des supports rhodoïd éphémères et joue sur l’effacement de la trace photographique. Ces expérimentations, propres à chaque photographe plasticien, leur permettent d’appartenir à l’image, de se l’approprier et d’incorporer du sens, du personnel, du critique, de l’esthétique autour de la problématique de l’origine. Que deviennent nos images à partir d’une origine? Du post-traitement aux expérimentations tout contre le support, le réseau de techniques et les approches mis en avant par La(b) Galerie Artyfact montre que l’intimité de chaque photographe est touchée par la question lancinante des origines: autant d’approches que de sensibilités réunies par la transcendance de l’origine, intime, spatio-temporelle et définissant les conditions mêmes de l’existant.
CATH.AN.
Il restera un détail, ou deux
Il y a eu ce constat : je ne voyais plus. J’avais perdu mon regard et j’étais face à un silence visuel. Profond. En temps normal, quand je ne photographie pas, je porte en moi des mots et des images mentales. Elles sont là, je vis avec elles en attendant de trouver l’instant pour leur donner une forme. Pour leur offrir leur propre existence. Mais dernièrement elles avaient disparues. Je ne savais pas où elles étaient parties. Elles m’ont laissée seule, démunie face à leur absence. Subitement je ne voyais plus. Je suis donc restée de long mois sans prendre une photographie. Complètement perdue, déroutée face à ce manque visuel. De temps en temps je plissais les yeux, vous savez comme pour chercher à faire une mise au point. Un geste vain pour me rassurer, pour ne plus sentir cette inquiétude grandissante. Cette cécité envahissante. C’était un fait : mon champ visuel demeurait obstinément désert. Le temps passant, il m’a fallu admettre cette incapacité de pouvoir saisir une image. Consentir que j’étais aveugle et par ailleurs me rendre compte que j’étais sans aucun sujet photographique – sauf celui-là même que je ne voyais plus. Il m’a fallu réagir, et j’ai décidé alors d’aller à la rencontre de cet épuisement visuel. Pour me confronter à cette épreuve du regard, j’ai cherché un lieu qui pouvait me permettre d’opérer un basculement intérieur. Ce fût une chambre d’hôtel, parce que j’avais besoin d’un terrain neutre, sans rappels, sans liens, sans traces avec mon passé. Dans ce huis clos silencieux que je me suis imposée, je me suis interrogée sur cette perte du regard. Il était peut-être venu le moment pour moi de laisser surgir quelque chose de nouveau. L’espoir d’une autre vision sûrement, de celle qui inaugure – qui annonce et qui promet. Face à cette remise en question, l’appréhension m’envahissait. Je ne savais pas ce qui pouvait advenir de cette mise à nu. Malgré tout cela, j’y suis allée. Je ne savais pas où cela me mènerait, mais je me répétait qu’il me resterait bien un détail, ou deux. Lumineux.
ÉMILIE ARFEUIL
Sang-mêlé
La série Sang-mêlé prend son inspiration dans la photographie ethnologique des XIXème et XXème siècles, témoignage des missions scientifiques et de la rencontre entre l’Occident et « l’autre monde ». Au-delà de la recherche de « types humains », on rêvait, à l’époque coloniale, de pittoresque, d’exotisme, de folklore à travers les corps et costumes inconnus et lointains. Le regret d’un paradis perdu et du mythe du « bon sauvage », la recherche d’un dépaysement total, sont de plus en plus forts aujourd’hui face à l’uniformisation culturelle mondiale et la disparition progressive des traditions. Cette série prend le parti d’une ethnologie inventée par la nostalgie du voyageur. Totalement mise en scène en studio à Paris, à partir de documents ethnologiques et anthropologiques, elle entremêle costumes, apparats et maquillages traditionnels des cinq continents. On découvre alors une femme multiple, métissée, cosmopolite, aux origines hybrides, au visage de sang-mêlé du monde. Les traditions de continents opposés se confondent jusqu’à perdre leur essence et en générer une nouvelle, façonnée par l’inconscient collectif. Par opposition à la rigueur ethnologique, l’utilisation du flou préserve une forme de mystère et d’incompréhension, tout en questionnant la notion d’altérité et d’identité.
SABRINA BIANCUZZI
Instant P
Chaque séquence d’ Instant P – présente une naissance – une origine. Au départ il y a l’histoire personnelle, l’histoire familiale, les entraves, Il y a le besoin d’extérioriser, la catharsis, Il y a l’envie de réécrire, d’inventer, De se souvenir, d’oublier, De changer l’histoire, De rendre le douloureux, beau, Et la souffrance, poésie. Et puis donner la vie à son tour, Pour offrir ce qu’on n’a pas connu. Le parcours, comme des étapes, des passages, L’origine, les origines. Naitre, Encore.
She
« She » est une collection sans fin d’instants de vie… Comme on collectionne les timbres ou les cartes postales, l’objet du souvenir est lui-même collectionné pour devenir petit à petit le reflet d’une vie passée, rêvée ou réelle. C’est la beauté de l’éphémère, la peur du tout et l’importance du rien. « She » est réalisée à partir de photographies argentiques, tirées sur papier baryté et retravaillées en techniques mixtes. Chaque image est une oeuvre unique.
NATHALIE DÉPOSÉ
Maison de famille
Ce travail qui s’articule sur 3 volets est une réflexion sur la mémoire, sa fragilité et les outils qui sont à notre portée pour la conserver. Dans le premier volet « Maison de Famille » je suis retournée après la mort de mes grandsparents dans leur maison sur le point d’être vendue et j’ai inséré 3 images extraites d’une vidéo que j’avais tournée il y a 20 ans de cela. Dans le deuxième volet j’ai repris le geste arrêté de ma grand-mère présent dans la première série et j’ai demandé aux femmes de ma famille de se réapproprier ce geste. Le troisième volet « Frontières » est un travail en cours.
MICHAEL DUPERRIN
Odysseus, un passager ordinaire
« Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvais par une forêt obscure. » Dante
« Penser dans les choses, parmi les choses, c’est justement faire rhizome, et pas racine, faire la ligne et pas le point (...) [cela] n’a ni début ni fin, ni origine ni destination ; c’est toujours au milieu. » Gilles Deleuze
A l’approche de mes 40 ans, s’est imposé à moi de marcher dans les pas d’Ulysse, ce rusé aux mille facettes, mû par le désir du retour et une insatiable curiosité de l’autre. Son errance le conduit au-delà des limites du monde humain, jusqu’à celui des morts, avant de retrouver les siens. C’est tout autant lui-même qu’il découvre au bout du voyage. Refaire le voyage à l’identique est impossible, mais s’il appartient au mythe d’être réécrit, il est possible de faire son propre voyage dans l’Odyssée. Et si le monde de l’Odyssée n’est plus, on peut tenter de recueillir des correspondances dans le monde d’aujourd’hui. Nous voici donc embarqués pour la fiction et le réel, la photographie et l’écriture, le jeu avec les traces et les échos entre passé mythique et réalité présente. Dans le monde d’Homère, il n’y a pas d’origine. Les Dieux sont là, au milieu de nous. Ils sont à l’image des hommes, juste plus forts et plus beaux et immortels. Les éléments, le ciel, le vent sont des Dieux. La mer est un chaos informe de forces déchainées. Si l’homme ne peut maîtriser ces puissances divines, le navigateur est celui qui sait composer avec. En un temps où il n’y a ni cartes maritimes ni outils de navigation, son intelligence consiste à lire le ciel et la mer et tracer une route avec son navire.
IRIS LEGENDRE
Photographies I
Mon travail interroge la notion d’hérédité. On ne peut échapper à la généalogie et à la mémoire. J’ai planté des épingles, des aiguilles et des clous sur de vieux portraits de famille. Les formes obtenues évoquent tantôt un masque, un cercueil, un fantôme, ou une tumeur. Les ancêtres ont subi un châtiment, une malédiction qui ne les quittera plus.
JEAN LEGRAND
Dans l’abîme du temps
Ici, la mémoire se déplie en noir et blanc séché d’eau sale de moisissures et d’oubli. Ici, au hasard des fenêtres, les lumières ondoyantes traversent un siècle en bataille. Et l’oeil solennel d’un père s’illumine d’enfance infinie. L’enfance presqu’île fugitive. Comment saisir son secret, cette course d’innocence vive? Elle ouvre ses bras tremble comme une évadée blanche comme une fièvre de naissance. Elle jette ses diagonales folles éblouies en causse de blés mûrs, fille de hibou insolente Méditerranée. Enfant aux mille aurores, quel est ton secret? Visage d’eau d’argent aux traces de l’autre monde, de qui es-tu le fils? Une déesse éclaire tes lunes, elle berce ton ciel et ton midi. Les nuits, au détroit stupéfait, une déesse berce tes peurs, elle te chante en cercles paresseux des trésors d’île Caspienne. Toi, l’Enfant, l’Ulysse, le premier fils es-tu notre peur, notre soeur, celle de poussière? Notre peur sous la grande ourse quand nous marchons au grand secret vers notre enfance précipitée ?
JOELLE MEYERS
Who am I ?
Ces images ont été réalisées lors d’une phase de transition dans ma vie et reflètent mon état d’âme lors de la recherche de moi même. C’est un travail très personnel. Une introspection à mettre en relation avec des fragments d’écrits qui renforcent ce que je ressens.
LOUISE NARBO
Mémoire de papier
Les photos de famille dorment au fond des tiroirs. Avec les cartes postales, les recettes de cuisine, factures et livres de comptes...
Au hasard des fouilles, leur désordre livrent des combinaisons qui bousculent notre mémoire.
Rapprocher ces papiers silencieux du tranchant de nos questions.
Se tenir derrière l’auteur de ces vieilles photos. Le traverser, lui et son boitier, pour être enfin le témoin de ces scènes.
Tisser un récit qui nous appartiendrait, et colmaterait ces vastes landes de cratères abyssaux.
Ecrire enfin une mythologie dont on pourrait être l’auteur.
HEBE ROBINSON
Echoes
Dans les années 50, les familles des petits villages de pêche éloignés des Lofoten en Norvège du Nord, se sont vues offrir une somme forfaitaire du gouvernement pour quitter leurs foyers et déménager dans des endroits plus centraux. Elles se sont engagées à ne jamais revenir ni à s’y réinstaller. Cela faisait partie du plan gouvernemental de centralisation et de modernisation du pays après la Seconde Guerre mondiale. Les photographies historiques de ces lieux sont retournées à l’endroit où elles ont été prises, reliant ainsi le passé et le présent. Le projet «Echoes» parle du temps qui passe, de l’histoire, du destin, de la maturité et des changements de notre société. Les communautés qui avaient survécu pendant des siècles dans un environnement hostile, à la frontière entre les montagnes escarpées et une mer agitée, totalement isolées pendant les mois d’hiver, ont collectivement décidé de quitter leurs terres. Voisins et amis depuis des générations ont emballé tous leurs biens, se sont quittés et ont quitté leurs maisons. Les villages ont été abandonnés en quelques mois. Vivant une pénurie de matériaux de construction, ils ont démantelé leurs maisons et les ont apportées avec eux, ne laissant que les fondations. Le mode de vie autonome traditionnel s’est perdu et une partie de la culture côtière avec elle. Aujourd’hui, 60 ans plus tard, la nature a repris ses droits. En y regardant de plus près néanmoins, on constate des signes du passé ; clôtures et fondations en pierre encore debout, sentiers cachés et traces de jardins avec des herbes et des fleurs.
BERTRAND SALLÉ
Family
« Le collage est pour Bertrand Sallé, un moyen d’exprimer sa sensibilité d’artiste. Ses compositions émeuvent, étonnent et se perçoivent de façon très personnelle. Chacun peut y rencontrer sa propre histoire. Il s’amuse à sortir une représentation de son contexte pour l’intégrer dans un autre, de sorte à lui donner un tout autre sens. Des situations cocasses et absurdes, proche des surréalistes, naissent alors, mêlant ainsi imagination et chimère. Un monde rêvé s’installe, où le temps présent s’efface pour laisser la place aux souvenirs d’un homme-enfant. La nostalgie, thème récurrent dans le travail de Bertrand, marque la volonté de ressusciter des moments passés, des instants d’innocence. Malgré tout, l’image de l’enfance est confrontée à celle de la vieillesse. Bertrand explique ce paradoxe par son souhait de représenter des personnages, certes anonymes mais, désirant laisser une trace dans le temps. Les images qu’il utilise sont souvent dénichées dans des brocantes et même, de temps en temps, découvertes par hasard au gré de ses balades urbaines. L’enfance est au coeur de sa recherche d’images. Il glane ses images, ses dessins. Ils les accumulent. Puis, Bertrand assemble ces trouvailles, les superpose, les met en scène. Son ambition d’inventer un univers fantastique ne se limite pas à une unique thématique. Pour lui, la composition d’images est un jeu d’enfant qu’il manie harmonieusement. Avec un paquet de feuilles, une pointe de colle, une paire de ciseaux et une dose d’imagination, la magie de l’artiste opère. Il substitue parfois ses outils manuels à une souris et à un écran d’ordinateur pour créer des images numériques. L’observation des textures, des couleurs prend une place prépondérante dans l’inspiration de Bertrand. Celui-ci joue avec les matières et nuance les contrastes. L’authenticité de ce jeune artiste et sa personnalité transparaissent dans ses œuvres. L’important, pour lui, c’est avant tout la recherche de l’esthétisme. Finalement, la superposition et la transparence des images symbolisent l’enchevêtrement des souvenirs qui permettent à chacun d’avoir une existence propre. Bertrand se nourrit de ses émotions et y trouve l’inspiration. Dans son travail, chacun peut retrouver ses propres souvenirs. Nous connaissons ces images, elles se trouvent dans l’armoire de nos grands-mères… Finalement, il cherche à surprendre, charmer et envouter le spectateur.» Marie Maunan
YANNICK VALLET
Les Disparus
Ceux qui ont franchi la ligne pour un autre ailleurs. Vers une autre vie ou un autre lieu. Un au-delà ou un autre monde. Vers une autre normalité ou pour un autre présent. Ceux-là sont les Disparus.
Il s’agit d’une série de diptyques sur le thème de l’absence. Absence de l’être aimé, absence de l’enfant, de la famille, de l’ami. Absence de l’autre, tout simplement. De la même manière que Marcel Duchamp donnait autant d’importance à celui qui regarde qu’à celui qui a fait, la série « Les Disparus » n’a d’existence que par ce que le spectateur peut mettre dans cet intervalle temporel qui sépare les deux photographies. Que s’est-il passé ? semble être la question récurrente à laquelle chacun pourra répondre selon sa propre histoire. Si le titre de la série renvoie fatalement à la mort (ne parle-t-on pas de nos chers disparus ?), il ne doit pas non plus cacher qu’une autre finalité existe. Les disparitions qu’elles soient physiques, psychologiques ou même spirituelles laissent toujours un vide, souvent difficile à combler. C’est bien sûr de ce vide dont « Les disparus » parlent mais aussi, et surtout, des traces mémorielles dont le souvenir est en définitive l’éternel gardien .
EXPOSITION ORIGINE(S)
6 mars > 18 avril 2015
© Cath.an.
© Emilie Arfeuil
© Sabrina Biancuzzi
© Michaël Duperrin
© Iris Legendre
© Jean Legrand
©Joëlle Meyers
© Louise Narbo
© Hebe Robinson
© Bertrand Sallé
© Yannick Vallet
© Nathalie Déposé
© Sabrina Biancuzzi